Le légendaire « In the Court of the Crimson King » est considéré, par beaucoup, comme le véritable disque fondateur du Rock Progressif...
Alors en fait, on pourrait certainement débattre à l'infini pour tenter de s'accorder sur cette question : "Quelle est la première œuvre progressive de l'Histoire ?"... Car avant cet album, d'autres formations s'étaient déjà aventurées sur des voies similaires ou permettant au moins de défricher le terrain : Les Beatles avec « Sergent Pepper's », les Moody Blues, Pink Floyd, voire le Velvet Underground ou les Doors... Mais, il est vrai que ce premier opus de King Crimson semble effectivement opérer la synthèse de l'ensemble de ces origines, tout en insufflant le sursaut déterminant qui permet de concrétiser ces inspirations sur un territoire Rock bien marqué, et bien à part... En prime, il constitue également un point de référence indéniable, tout particulièrement reconnu par de très nombreux artistes à travers le monde...
Quelle époque impressionnante en tout cas... Car en 1969, date de sortie de ce disque, ça fourmille vraiment de partout et d'autres immenses groupes s'activent fortement en parallèle : en plus de ceux déjà cités, on peut par exemple mentionner Genesis, Yes, ou encore Van Der Graaf Generator...
Voilà pour la partie historique... Mais ce qui est incroyable, c'est qu'écouter cet album de nos jours reste une merveilleuse expérience... une odyssée à la fois dévastatrice et apaisée, doublée d'une partition musicale fantastique, qui font que le chef d'œuvre d'antan est toujours un chef d'œuvre aujourd'hui...
Je lui trouve néanmoins une fausse note qui m'empêche de lui attribuer 5 étoiles : il s'agit de la dernière partie de l'improvisation "Moonchild"... On trouve à ce sujet de très nombreux points de vue, certains appréciant le titre tandis que d'autres le décrivent plutôt comme étant d'une longueur interminable... et je suis plutôt dans le dernier camp. Déjà, pour tenter de l'écouter, vous devez bénéficier d'un moment de calme absolu, sinon vous vous retrouverez avec 10 minutes de blanc total. Mais même en étant attentif, et même si certains passages ont fini par m'attirer l'oreille, la réalité c'est que je finis souvent par zapper... Oui, 10 minutes aussi évidées, voire incohérentes, décidément c'est trop...
Alors, il est clair que ça fait réfléchir : "Zapper", c'est quand même un terrible constat d'échec... Qu'est ce que ça veut dire, en fait, quand on zappe un des "meilleurs disques de tous les temps" ?? Bon... Bref... Je vais ici gentiment me contenter d'enlever 0,5 étoile... et chacun sera libre d'avoir son opinion...
Pour en revenir à "Moonchild", c'est d'autant plus dommage que la première partie avait tout pour donner un instant charnière du disque, lové entre "Epitath" et "The Court of the Crimson King"... Une introduction d'une douceur étrange, un air mélancolique et satiné, hyper prometteur, avec tous les éléments pour élever le morceau petit à petit... Mais... Donc... Non...
Ceci étant dit, revenons à l'essence même de cet album... et à sa première piste, "21st Century Schizoid Man", probablement la plus célèbre de King Crimson...
Rappel... On est en 1969... Pourtant les notes et surtout les rafales de percussions claquent comme si elles se paraient d'une modernité intemporelle... La voix hurlante et difforme rappelle immédiatement la mythique pochette du disque, encore plus lorsqu'on la déplie complètement et qu'elle dévoile son oreille démultipliée...
Les paroles, autant que la musique, nous projettent dans un monde apocalyptique et ténébreux... avec de véhémentes critiques de la guerre du Vietnam (qui "viole les innocents au Napalm") et de la société moderne en général, entre avidité, conflits armés, atrocités sordides et bûchers de politiciens... le tout s'incarnant dans l'Homme Schizoïde du 21ème siècle...
La partie instrumentale du milieu continue à personnifier l'innommable, au sein d'une monstrueuse virtuosité musicale où de nombreux genres s'entremêlent, entre Jazz inspiré et Rock pénétrant... La partition dantesque se déploie dans une course improbable, aux étapes fascinantes, mais toujours en gardant le fil conducteur de l'ensemble, et en maintenant une effrayante cohérence entre le thème du morceau et la force des instruments...
Et... Donc... Est ce qu'on tient, ici, l'Acte Fondateur du Rock Progressif ?? ...Oui... en vrai, c'est bien probable !
La chanson suivante est en contraste total, et d'une absolue sérénité... King Crimson jongle avec l'auditoire en proposant avec "I Talk to the Wind" un moment tout en douceur, tout en légèreté, comme une caresse suave et paisible qui vient nous effleurer...
Les paroles, finement fredonnées puis emportées par le vent, complètent admirablement une création à l'atmosphère aérienne et vaporeuse...
Moins spectaculaire que le précédent, c'est pourtant là aussi un morceau d'une grande beauté, doublée d'une troublante délicatesse...
Et puis... La voilà... La Merveille des Merveilles... "Epitath"... Ma piste préférée de King Crimson, avec "Starless"...
"Epitath", c'est l'autre dimension... Une chanson touchée par la grâce, d'une envergure et d'une classe exceptionnelle... On atteint ici le romantisme musicale le plus absolu, le plus passionné, le plus captivant, le plus vertigineux...
"Epitath" fait par ailleurs partie de ces titres qui appellent à pousser fortement le volume sonore : il se révélera alors toujours plus, sans jamais souffrir d'agressivité...
L'utilisation géniale du Mellotron parvient à littéralement sublimer le passage... Mais la performance collective est de toute façon absolument superbe, aboutissant à niveau de tension rarissime...
Tout converge vers une dernière envolée qui nous assaille totalement, entre poésie sombre, mélodie effrénée et exaltation tragique... Un aboutissement mystérieux et enivrant, qui se termine par une gigantesque irradiation...
Quelques morceaux choisis d'un avertissement prophétique qui résonne de plus en plus fort avec le temps qui s'écoule, et en particulier de nos jours :
" The fate of all mankind I see
Is in the hands of fools.
...
The wall on which the prophets wrote
Is cracking at the seams
Upon the instruments of death
The sunlight brightly gleams
When every man is torn apart
With nightmares and with dreams
Will no one lay the laurel wreath
When silence drowns the screams?
Confusion will be my epitaph
As I crawl, a cracked and broken path
And if we make it, we can all sit back and laugh
But I fear tomorrow I'll be crying
Yes, I fear tomorrow I'll be crying
Yes, I fear tomorrow I'll be crying
Crying!
Crying! "
Conclusion sur "The Court of the Crimson King"... Un titre magnifique, une fois de plus (le deuxième meilleur de l'album !), où on s'immerge au sein de la cour du Roi Cramoisi dans une sorte de mythologie épique aux accents moyenâgeux... L'assemblage de la musique et des chœurs achève de nous embarquer dans la dystopie... Un moment mystique, d'une puissance folle, d'une beauté lumineuse, et qui révèle une étonnante capacité à envelopper toute l'assemblée...
...Il n'y a plus qu'à s'incliner devant le Roi...
Je laisse bien sûr l'épilogue à Robert Fripp, via son interview dans Rock & Folk (n°333, Mai 1995, ici en local), à propos d'une des illustrations les plus célèbres de l'histoire de la Musique :
« Peter apporta cette peinture et le groupe l'a adorée. J'ai récemment récupéré la version originale du bureau d'E.G. car elle était exposée à la lumière, et risquait de s'abîmer, donc je l'ai retirée. Le visage à l'extérieur est celui de l'homme schizoïde, et celui à l'intérieur est celui du roi cramoisi. Si vous cachez son sourire, les yeux révèlent une tristesse incroyable. Que dire de plus ? Elle reflète la musique »