En 2005, la sortie des "Retrouvailles" signe la dixième année de présence de Yann Tiersen... 10 ans durant lesquels il aura porté un vent de renouveau sur la scène musicale française et internationale... Avec un retour en force des sonorités celtiques marquantes, souvent féériques et profondément travaillées... 10 années bien remplies faisant la démonstration continue de sa maestria...
Tiersen entame alors une longue période de pause (mise à part la BO de "Tabarly")... Pour finalement revenir en 2010 avec son nouvel album studio... Et... Quelque chose a changé...
Cette période aux alentours de 2010 est un moment charnière qui va déclencher des prises de décisions clés et des changements de directions majeures...
Outre des événements éprouvants (décès de sa mère et d'un ami proche), l'artiste passe de plus en plus de temps sur l'île d'Ouessant, où il déménagera finalement en 2013.
Son orientation musicale prend alors un tournant. Les sons se parent d'électronique, les atmosphères deviennent plus brumeuses, plus épaisses, plus chargées... Tiersen passe énormément de temps en studio, en gérant beaucoup d'éléments qui s'imbriquent et se superposent volontairement. En faisant un petit parallèle à ce sujet, il déclarera qu'un de ses albums préférés est "Loveless", du groupe "My Bloody Valentine".
On écoute sur « Dust Lane » le résultat d'un assemblage complexe incluant quantité de sources variées qui fourmillent en harmonie et qui convergent vers un très beau final.
On retrouve donc ici régulièrement le type de construction du genre Post-Rock.
"Palestine" est tout à fait caractéristique de l'album. Le fait d'épeler les lettres du mot attire l'attention sur le conflit tout en permettant à l'artiste de garder sa neutralité.
Le travail sur les voix et les choeurs, d'ailleurs primordial sur l'intégralité de l'album, marque aussi une rupture par rapport à ses propositions précédentes.
Le morceau n'en finit pas de monter, continument rythmé par les lettres qui s'enchainent, s'offrant une fuite en avant qui pourtant parvient à envelopper l'auditeur jusqu'à le noyer...
Mais auparavant, les trois premières pistes ont impeccablement lancé l'épopée.
"Amy" est une superbe intro, qui réussit à donner le ton de tout le disque. Voix parlées, voix chantées, effluves sonores... Le titre se lâche... On surfe sur les ondes, on est porté par les choeurs qui nous font tournoyer...
"Dust Lane" et la plus mystérieuse "Dark Stuff" prennent le relais... On perçoit bien qu'on va recevoir un jet d'énergie, mais Tiersen s'amuse et retarde l'échéance... Les premières tentatives finiront dans le calme, mais les deuxièmes seront les bonnes... Les parties finales, d'une envoutante beauté, se révèlent fignolées à l'extrême...
Le titre de l'album, « Dust Lane », évoque une rue poussiéreuse, anonyme, par opposition à la représentation d'un endroit en particulier. Cette vision se prête en effet très bien à la musique. Les différentes pistes projettent des images, foisonnantes, éphémères, engendrant une série de sensations variées qui se succèdent à grande vitesse...
"Chapter 19" se permet quelques clins d'oeil bien vus à « l'Absente »...
La chanson provoque également cette impression d'inéluctable... Ce ressenti d'être emporté sans pouvoir réagir... Ce besoin finalement de s'abandonner, de se laisser guider par le flou et vers le flou...
Le voyage se termine progressivement. "Ashes" est plus joyeux, avec des sonorités plus enfantines, des choeurs et des passages plus clairs pour une forme de renaissance, d'espoir, de force commune qui nous entraîne...
"Till The End" donne l'impression profonde que le but de l'expédition est là, devant nous, et s'étale devant nos yeux. Il ne reste plus qu'à contempler et à profiter...
Enfin "Fuck Me" laisse place à d'autres types d'aventures dans une éclaircie mélodique définitive... Fini la poussière... On s'est désormais fixé... Une conclusion bien amenée, d'une limpidité évidente... Entre aboutissement et accomplissement...
2010... Année charnière pour Tiersen... Le début d'une période plus typée Post-Rock... Un son différent, l'apparition des synthés, une production complexe et fourmillant d'éléments nouveaux... Le tout en gardant intacte l'attractivité des albums...
« Dust Lane » est un opus très fort, qui déborde de musique, d'idées, de détails, de strates qui se mêlent et s'empilent... Une certaine joie et une certaine espérance, parfois embrumées, transpirent de l'aventure...
On tient un album splendide… Même si peut-être trop homogène, à l'excès... ce qui fait que rien ne se démarque vraiment... Mais en tout cas, il reste toujours un grand moment à partager sans cesse, au coeur de l'univers de cet artiste d'exception...