En Breton, "Eusa" signifie "Ouessant"... célèbre île du bout de l'ouest de la France, où Yann Tiersen a élu domicile en 2013. Un lieu singulier, à qui il a décidé de rendre hommage via cet album sorti en 2016.
L'artiste adopte ici un style presque entièrement instrumental, et un usage quasi exclusif du piano (les seules exceptions seront apportées par quelques sonorités insulaires et quelques mots déclamés en breton). Cette approche minimaliste et introspective marque une rupture franche par rapport aux trois albums précédents, lesquels présentaient tous une structure musicale bien plus complexe.
Pour raconter son île, Tiersen choisit d'en décrire dix endroits bien particuliers, chacun sous la forme d'un morceau. Il parsème également l'ensemble de différents chemins ("Hent" en Breton) menant d'un point à un autre.
Le premier lieu ayant eu les honneurs de révéler l'album est "Porz Goret"... Alors, forcément vue l'invitation, on le cherche sur une carte pour mieux visualiser : on y découvre une grande crique circulaire, à l'arrondi presque parfait...Et on commence à imaginer ce que l'artiste a souhaité faire : raconter un instant, une histoire... exprimer tout ce qu'un tel endroit peut engendrer... se retrouver au milieu des vagues, du vent et des tempêtes, mais aussi baigné de printemps lors d'une promenade propice à la contemplation et aux sourires qui se dessinent... Le tout dans une atmosphère intimiste, incitant à un certain recueillement et à une réflexion sur soi-même...
Mais... Revenons sur le début du disque... Car après le premier Hent et ses quelques notes annonciatrices, "Pern" est venu nous cueillir directement...
"Pern", c'est une révélation, dès la première écoute... Difficile de ne pas tomber sous le charme d'un tel passage, d'une beauté envoûtante, atypique et sincère : on a là l'essence même de l'album qui se manifeste d'entrée. Et quand on connait l'histoire de sa genèse, on dispose tout naturellement d'une double lecture : apprécier le morceau en tant que tel, mais également se projeter dans le paysage qui l'a inspiré...
Les pistes qui suivent ces deux premiers titres affichent un charme discret et une délicatesse enveloppante. On imagine bien Tiersen sur "Lok Gweltaz" ou "Penn ar Roc'h", avec des images plein la tête et avec cette capacité à nous transmettre ses émotions, en les couchant sur ses touches de piano subtiles et inspirées.
Un peu plus loin, "Kereon" nous évoque un phare situé en pleine mer, associé à ses craintes et à ses joies.
La dernière partie de l'album ("Yuzin", "Roc'h Ar Vugale", "Enez Nein"...) offre également de nombreux beaux moments, d'une évidente profondeur musicale tout en étant immédiatement attachants...
Dernière escale obligée par "Penn ar Lann", qui reste mon passage préféré... Les oiseaux marins nous guident, et on s'envole... Les notes défilent, dans une atmosphère digne, mais pétillante... comme si Ouessant dans son ensemble savait apprécier et profiter de ces instants auxquels il faut savoir donner de l'importance. Le titre est un peu comme une naissance, il nous projette dans une bulle temporelle où règne une euphorique douceur, entre bienveillance, générosité et harmonie...
Après son installation sur l'île, Yann Tiersen s'est lancé dans un projet de réhabilitation du lieu de vie l'Eskal, avec une double fonction de salle de concert et de studio d'enregistrement. Une belle histoire qui redonne de l'élan à un endroit pas comme les autres.
Je ne suis personnellement jamais allé à Ouessant... Un jour peut-être, j'aurais la chance de rendre visite à tous ces lieux ayant inspiré l'album, et de pousser la porte de ce nouvel établissement...
D'ici là, il n'y a qu'à se laisser porter par les créations de Tiersen, bercé par le soleil, la brise et les embruns qui nous arrivent de l'Atlantique...