« The Final Cut »... Ou l'album (au nom prédestiné) de la séparation de Pink Floyd...
Enfin... Du moins, parlons ici plutôt de séparation (presque) ultime, car ils n'étaient déjà plus que trois à ce moment-là. Il faut dire que Roger Waters, leader-chanteur-bassiste à tendance despotique, avait déjà viré le claviériste Rick Wright pendant l'enregistrement de « The Wall »...
Et encore, on peut se demander dans quelle mesure les trois bougres ont réussi à travailler "ensemble". Apparemment Waters et le guitariste Gilmour bossaient même séparément, chacun de leur côté.
C'est quand même grave d'en arriver à ce niveau de tension... En même temps ça couvait depuis un moment, et... ça ne se démentira jamais par la suite : Waters veut imposer ses concepts, alors que Gilmour, lui, ne veut pas lâcher la musique...
Au bout du compte, le dos de la pochette (elle-même conçue par Waters !), ira jusqu'à porter l'inscription lapidaire « A requiem for the post-war dream by Roger Waters, performed by Pink Floyd » (« Un requiem pour le rêve d'après-guerre par Roger Waters, interprété par Pink Floyd »)... Super, l'Ambiance...
Evidemment, après ça, le groupe explosera... Waters entamera sa carrière solo et, suite à longue bataille judiciaire, les trois autres continueront à faire vivre le groupe, différemment, mais avec de belles réussites !
Pour « The Final Cut », Waters élabore un concept anti-militaire, inspiré par le déclenchement de la guerre des Malouines en avril 1938, mais aussi, en toile de fond, par la mort de son père Eric Fletcher Waters, lors de la seconde guerre mondiale.
Certains morceaux sont spécifiquement conçus pour l'album, alors que d'autres sont des chutes de « The Wall »... Ce qui n'a pas manqué d'attiser les désaccords... Mais on ne va pas revenir là-dessus...
L'atmosphère du disque est très particulière... Assez décousue, mais très, très pesante, voire dépressive... Ce qui va finalement permettre d'en dégager des passages absolument vibrants de sensibilité...
Malgré l'accouchement douloureux, on tient aussi le dernier exemple éclatant de l'association Waters - Gilmour. Car ce dernier est bien là : l'âme mélodique du groupe est présente. Même quelque peu effacé, il a réussi à poser sa patte géniale à différents moments clés...
De son côté, Waters s'est surpassé comme jamais. Son chant est une véritable merveille sur l'entièreté de l'album : calme, torturé, posé, puissant, murmuré, déchirant, ensorcelant... Une démonstration... comme si sa propre vie en dépendait...
Les trois premières pistes, "The Post War Dream", "Your Possible Pasts" et "One of the Few" représentent bien la manière dont se construit le disque. La voix de Waters en est un élément absolument central. Les morceaux sont également parsemés d'explosions soudaines, et souvent assez courtes, qui amènent une grosse intensité... et qui terminent parfois sur un solo de Gilmour pour replacer le tout sur l'orbite de la mélodie...
On retrouvera ces solos notamment sur "Your Possible Pasts", "The Fletcher Memorial Home", "The Final Cut" et "Not Now John"... Comme autant de petites touches qui viennent transcender le tout...
"The Hero's Return", premier effort vraiment collectif, est plus construit sur le plan musical, à coup de grandes décharges de guitare électrique, de performance vocale et de percussions... Le tout illustrant la violence ressentie par un ancien combattant éprouvant l'impossibilité de se réadapter à la vie civile...
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...« But in the space between the heavens... And in the corner of some foreign field... I had a dream »... Sélection de quelques mots, touchant au possible, au sein de l'intro de "The Gunner's Dream"... Un morceau grandiose... Le premier point de repère indiscutable de cet opus... Il émerge tout doucement, tout simplement, sur quelques notes de piano, progressivement enveloppées dans les nappes et le synthé... Il prend son essor avec la performance de Waters, puis en surfant sur un exaltant solo de Saxo... La voix du chanteur revient alors, à en devenir hypnotique jusqu'à la fièvre, lors de l'envolée finale...
Plus loin, "The Fletcher Memorial Home" est, là encore, superbe... Un début déchirant... On frissonne à entendre la complainte se perdre dans le mémorial...
De nombreux effets, spirales et breaks, renforcent le message de Waters, avant que Gilmour vienne conclure par son orfèvrerie...
Mais le chef d'oeuvre de l'album, c'est sa chanson éponyme... "The Final Cut" est une épopée poignante sur l'aliénation conduisant presque au suicide...
Un thème douloureux et une mélodie bouleversante... Waters crible nos âmes et le final de Gilmour est à pleurer, le tout transpirant d'une sensibilité saisissante...
Lors de cet égarement dans le délire, on se retrouve complètement désarmé, glacé, impuissant... pris dans l'engrenage du drame et pourtant transpercé par les magnifiques arrangements qui rendent le morceau majestueux et inoubliable... La transe tragique de la confusion mentale...
Pendant très longtemps, ma réponse à la question « Quelle est ta chanson préférée ?» aura été "The Final Cut". Aujourd'hui encore, c'est une réponse possible en fonction du contexte, au côté d'autres prodiges du genre de "E-Bow" de Sigur Ros, "Who Am I" de Lou Reed, ou "Piss Crowns Are Trebled" de Godpseed You! Black Emperor, par exemple...
L'album se termine... La rageuse "Not Now John", la plus agitée de l'album, apporte un gros surplus d'énergie, sur fond d'indifférence aux problèmes de ce monde... Elle n'est pas une énorme réussite en soi, mais elle fonctionne bien dans le disque en lui donnant une importante dynamique finale, qui vient contrebalancer les précédents passages plus calmes.
Enfin, "Two Suns In The Sunset" est la description, depuis un véhicule, du visuel de l'holocauste nucléaire lors du crépuscule... Les fous de l'humanité se retrouvent avec la conséquence inévitable d'apercevoir Deux Soleils dans leur ciel... Une scène de dévastation qui contraste avec la musique, apaisée et rassurante de prime abord...
Finalement, alors que tout se vaporise, Waters imprime sa conclusion : « We were all equal... In the End »...
Les avis diffèrent beaucoup sur cet opus, avec des appréciations très positives ou au contraire des opinions très défavorables...
Est-ce le premier disque solo de Waters ? Par certains aspects, oui... Mais pas seulement, Gilmour ayant heureusement travaillé de son côté...
Si cet album contient son lot de réussites (dont une d'Anthologie)... Je peux aussi comprendre les critiques qui sont formulées contre lui... Mais par contre, pas leurs radicalités, extrêmes dans certains cas. Je considère personnellement que c'est encore un beau succès avec un ensemble de pistes qui fonctionnent très bien comme un tout, et ce même si on est loin de la meilleure période du groupe.
Pink Floyd se sépare donc après la parution de « The Final Cut », avec des destinées variées pour chacun de ses membres... Je préfère néanmoins sans hésiter celle de Gilmour, qui reformera la bande avec ses comparses pour nous léguer quelques dernières oeuvres de choix...